Rugby Quantique – Jonny Wilkinson, Etienne Klein & Jean Iliopoulos – Les presses de l’ENSTA – 2011 – 55 pages
Quatrième de couverture :
Pourquoi Jonny Wilkinson, le mythique buteur du rugby à XV, s’est soudain passionné pour la physique quantique ? Comment la découverte de cette science si abstraite et complexe a-t-elle pu révolutionner sa vie ? Y aurait-il des connexions insoupçonnées entre le monde des quantas et celui de l’Ovalie ? Pour tenter de résoudre ce mystère, deux grands physiciens s’entretiennent avec la star mondiale du rugby. Dans leur conversation à bâtons rompus, il sera tour à tour question de hasard, d’intuition, de rapport à l’espace et au temps, de coopération…
Une magnifique défense et illustration de la culture, lien entre les êtres et les mondes les plus différents.
Les protagonistes :
Jonny Wilkinson est un joueur qu’on ne présente plus… Plus grand professionnel, buteur et n°10 du rugby moderne.
Etienne Klein est physicien des particules et docteur en philosophie des sciences. Il est à l’origine de nombreux ouvrages de vulgarisation autour des questions soulevés par la physique quantique et la physique des particules.
Jean Iliopoulos est un physicien théoricien d’origine grecque. Co-fondateur et directeur du laboratoire de physique théorique de l’ENS. En 2007, il reçoit la médaille Dirac pour sa prédiction du quark charmé.
Chronique :
Après avoir lu dans un article du Monde l’attrait de Jonny Wilkinson pour la physique quantique, la directrice de la communication de l’Ecole nationale supérieure de techniques avancées [ENSTA] a eu l’idée d’organiser à Paris une discussion entre Jonny et des grands noms de la physique quantique. Ce petit livre est la retranscription de cette rencontre, autour d’une table ronde, entre Etienne Klein, Jean Ilopoulos et Jonny Wilkinson.
La discussion et l’échange qui sont à la base de ce livre rendent la lecture dynamique et les thèmes nombreux… Cette chronique sera donc organisée en trois grandes parties afin de structurer l’article et faciliter votre découverte de cet ouvrage !
1 / Comment la physique quantique a aider Jonny Wilkinson à « transformer [s]a perception du monde » ?
Vous le savez sûrement, et si ce n’est pas encore le cas, vous trouverez des éléments juste ici, mais Jonny Wilkinson a une personnalité assez obsessionnel et orientée vers l’idée d’atteindre la perfection dans ce qu’il vit et ce qu’il fait !
Mais, vous le savez sûrement là aussi, la perfection est impossible à atteindre. Imaginez donc un instant le déséquilibre entre la volonté qui le pousse à atteindre la perfection et la déception qui en découle au vue de cette tâche impossible. Voici un terreau fertile à des sentiments qui ne semble pas bien-heureux.
Conscient de cela, Jonny Wilkinson s’engage dans un chemin spirituel durant sa carrière. Dans un premier temps, la découverte du bouddhisme lui permet :
« de mieux affronter la pression au quotidien, d’arriver à accepter et interpréter les échecs de ma vie ».
Dans cette continuité, Sir Wilkinson nous livre dans Rugby Quantique que la lecture de The Field de Lynne McTaggart a transformé sa perception de la perfection et de sa recherche. Désormais :
La maîtrise de ma vie passait par le contrôle de mes réponses aux victoires, aux échecs.
Cette lecture lui a permis de faire un petit pas de côté, celui de ne pas rechercher frénétiquement la perfection dans le résultat, mais de la placer dans l’intention. L’intention « parfaite », pour Jonny Wilkinson, est de faire le bien pour les autres et de s’améliorer soi-même. Ainsi, le soucis de perfection se situe plus dans l’intention que dans le résultat. En conclusion, le chemin devient plus important que le point d’arrivée !
Je pense maintenant qu’il est possible d’atteindre en permanence la perfection dans l’intention. Cette interprétation change tout.
L’important est que je l’aie fait avec une bonne intention. De cette façon, je peux atteindre une forme de perfection et j’arrive à dormir un peu mieux le soir. L’intention est tout ce qu’on peut maîtriser, la seule forme de perfection qui soit à notre portée.
2 / Entre maîtrise et lâcher-prise : la voie de Jonny Wilkinson
Le soucis de perfection est très présent dans son discours et va de pair avec le thème de la maîtrise.
Les entraînemens lui ont permis de pouvoir maîtriser ce qu’il pouvait maîtriser dans le jeu de rugby, c’est à dire le ballon.
Si je tape un ballon, encore et encore, je peux arriver, à force, à reproduire le même effet sur le terrain et à l’entraînement. Et j’ai la sensation de pouvoir à peu près tout maîtriser.
Mais dans le jeu de rugby, et Etienne Klein le souligne assez bien dans la troisième grande partie de cet article, la spontanéité et la surprise occupent une place importante :
Mais plus l’action se développe dans l’espace et dans le temps, plus le hasard prend de la place : on sait de moins en moins quel va être le comportement des autres, on se fatigue, sans compter l’aléa du ballon à la forme si bizarre. E.Klein
Sans être manichéen, Jonny Wilkinson a bien conscience de la présence de ces deux aspects dans le rugby : une partie que l’on peut à force d’entraînement maîtriser un peu plus, et une autre assez aléatoire. Comment un caractère aussi obsessionnel peut donc concilier ces deux aspects dans la réalité du terrain de rugby ?
Pour la citation suivante, Jonny Wilkinson évoque l’aspect aléatoire du jeu de rugby et son positionnement :
Mais il y a un autre niveau, où beaucoup de choses sont complètement inconnues. Une autre part de moi est alors concernée – du côté de l’instinct, des émotions profondes. J’y trouve une occasion d’être moi-même, de me connecter au monde, et aussi d’apprendre un peu plus.
Cet écart entre maîtrise et lâcher-prise n’est pas le plus facile à concilier. Il est ici question de trouver un équilibre, son équilibre…
La difficulté est de trouver l’équilibre entre volonté de maîtrise et capacité d’écoute… J’ai un côté obsessionnel, très obsessionnel, presque fou, qui me pousse à vouloir tout maîtriser.
Vingt pages plus loin, il nous explique comment il prépare et incarne cet équilibre entre maîtrise et lâcher-prise sur un terrain…
Pendant un match, il y a des moments où on doit réagir très vite, faire des choix immédiats. On peut peut-être parler de sixième sens, mais je pense que c’est surtout le résultat de tous les entraînements. Beaucoup d’entraînement, un peu d’instinct, un peu d’ouverture d’esprit : pour moi, c’est le secret.
Face à ce grand désir de maîtrise et cette petite mais essentielle place laissée à l’instinct, comment Jonny Wilkinson conçoit l’échec ? En effet, la non-réussite occupe une place importante dans l’équation de la volonté de perfection. Source de déception, de frustration, de désillusion et autre qualificatif négation en -ion, l’erreur et l’échec sont des variables importantes qui impactent le processus d’évolution.
Page 35 de Rugby Quantique, Jonny Wilkinson nous témoigne sa vision de l’échec, sur le ton de la confidence :
Sur un terrain de rugby, la meilleure façon de progresser, c’est de commettre des fautes. Avec les fautes, on peut s’améliorer. J’en parle peu, mais j’ai commis beaucoup de fautes dans ma carrière, au cours des entraînements et pendant les matchs. Ça fait mal, très, très mal. Mais la douleur, la déception m’ont permis d’apprendre plus vite.
3 / Les liens entre le rugby et la physique quantique
Les quelques ponts qui se construisent entre la physique quantique et le rugby pour justifier le titre Rugby Quantique sont pour la plupart énoncés par Etienne Klein. Selon lui, la physique quantique et le rugby nourrissent des objectifs contraires.
Et j’ai alors l’impression que le pari du rugby était comme l’envers de celui de la physique : non pas d’expliquer le réel par l’impossible, mais de démontrer l’impossibilité de l’impossible par le réel.
3.1 La physique : expliquer le réel par l’impossible
Etienne Klein prend l’exemple de la chute des corps. Selon lui, tout le monde peut constater qu’un corps lourd tombe plus vite qu’un corps léger. Néanmoins, Galilée est venu prouver que tous les corps tombent bien de la même façon en faisant un énorme contre-pied aux observations empiriques dans le réel.
Comment alors Galilée a t’il pu énoncer et prouver une loi physique « impossible » au vue du réel des observations ? En démontrant que les expériences réalisées pour déterminer la chute des corps n’ont pas été faites dans l’espace et par conséquent la gravité n’est pas la seule force en présence… Suite des explications dans le livre 😉
3.2 Le rugby : de l’impossibilité de l’impossible par le réel
L’impossible est quelque chose de non atteignable ou de non réalisable.
L’impossibilité de l’impossible fait passer ce dernier dans le champ du possible. Alors comment le rugby peut-il faire passer l’impossible dans le champ du possible par le réel ?
Pour étayer son propos, Etienne Klein décrit une action de jeu, qui ressemble beaucoup à celle du drop victorieux de Jonny Wilkinson en finale de Coupe du Monde en 2003.
Vous êtes joueur, un ballon vous arrive dans les mains, je ne sais pas comment, et tout d’un coup, il semble prendre une valeur infinie, ce ballon, car dans l’espoir féroce de s’en saisir des types vous tombent dessus, dont les masses flirtent parfois avec le quintal. Et malgré cela, sans qu’on comprenne bien comment, vous parvenez à faire une passe miraculeuse ou à exécuter un drop magique… Ce que je veux dire, c’est que vous faites là des choses qui semblent rigoureusement impossibles, mais puisque vous les faites, c’est qu’elles ne sont pas tout à fait impossibles… D’un geste, vous démontrez donc dans le réel l’impossibilité de l’impossible.
3.3 Les liens de la thermodynamique avec le rugby
Quelques lignes plus loin, Etienne Klein propose une lecture thermodynamique du rugby. Selon lui, la stratégie rugbystique est d’amener de l’énergie et ses déclinaisons : chaleur, énergie cinétique, masse, vitesse.. là où chez l’adversaire, il y en a moins.
Ce parallèle est simple à comprendre. Si la défense est faible au milieu du terrain, on va essayer d’envoyer des joueurs puissants lancés comme des frelons !
Ce lien permet à Jonny Wilkinson de rebondir et de donner sa vision du rugby. Selon lui, la question de l’énergie est effectivement primordiale !
Le rugby est pour moi un sport d’énergie.
Quand on trouve la meilleure façon d’accumuler, de rassembler de l’énergie, quand les joueurs pensent et bougent dans la même direction, en osmose – mentalement par la pensée et physiquement avec le corps – ça crée un échange d’énergie sur le terrain.
On peut aussi sentir l’énergie dans les vestiaires : une énergie d’angoisse. Mais sur le terrain elle se transforme pour devenir une énergie très positive. C’est bizarre…
Cette dernière citation est intéressante car elle ouvre le débat et la réflexion sur les propriétés transformatrices du rugby. Par quels facteurs cette angoisse se transforme en « énergie très positive » ? Et pourquoi ? Le rugby semble ici une possibilité de surmonter une angoisse en la transformant grâce une force éminemment collective. La suite de la discussion ne s’oriente pas dans ce sens, c’est bien dommage, mais nous aurons l’occasion d’en reparler 🙂 !
Merci pour votre lecture ! Le livre regorge d’autres points intéressants sur la question des sciences, de l’intuition etc. Je vous laisse le plaisir de les découvrir !
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