Après dans années passées à pratiquer l’art du jeu au pied et du tir au but, est venu le temps de poser par écrit et avec mes mots quelques considérations sur la place et le statut du buteur en rugby…
Qui est le buteur ?
C’est un joueur ayant la responsabilité à minima du tir au but dans son équipe de rugby à XV, à XIII ou à VII (drop). Il peut occuper n’importe quel poste dans l’équipe. Même si c’est symboliquement et intuitivement nous pensons au demi d’ouverture, au n°10, il peut s’agir d’un pilier ou d’un troisième ligne. Parmi les buteurs célèbres nous pouvons citer aisément Daniel Carter ou Jonny Wilkinson.
Quelle est la psychologie du buteur ?
Il s’agit le plus souvent d’un joueur passionné. Pourquoi cela ? Parce-que la pratique du jeu au pied et de surcroît du tir au but demande un investissement important de temps et d’énergie. Il faut plusieurs années pour maîtriser techniquement ce geste si particulier pour enfin exceller en match, dans un contexte de compétition et de pression.
Les buteurs « à la sauvette » ne marque pas beaucoup de points et encore moins l’histoire de leur club. Faut-il être alors un mordu de jeu au pied pour être vraiment un buteur ?
La dimension ludique, instinctive et même rebelle du jeu au pied attire bon nombre de joueurs, dont des avants. Qui n’a jamais vu un pilier ou un talonneur tenté un tir au but avant l’entraînement ?
Cependant, les buteurs qui sortent du lot, ne comptent leurs heures sur le terrain balle au pied. Ce constat est encore plus vrai dans les jeunes années du buteur où seuls la fatigue et la nuit peuvent mettre fin à des séances interminables de drops et de tirs au but. Avec l’expérience, la progression technique et la connaissance de soi, les buteurs s’orientent plus vers la qualité des heures d’entraînement plutôt que la quantité.
Les buteurs sont, comme je l’ai déjà dit, à minima passionnés, et s’inscrivent dans une déclinaison obsessionnelle de la personnalité. Passer des heures et des heures pour répéter encore et encore le même geste peut paraître de loin quelque peu autistique. Mais le plaisir de voir sa balle passer entre les poteaux avec une belle trajectoire captée par le regard et de bonnes sensations tactiles au niveau du pied fonctionne en une récompense bien assez grande.
Le statut du buteur : est-il un « névrosé » du jeu au pied ?
Comme dans chaque sport, « il faut aimer ça pour persévérer ». Et c’est encore plus vrai dans le tir au but. Un buteur qui se respecte ne compte ses heures, nous l’avons déjà dit. Cependant, il creuse bien d’autres domaines parallèles tout aussi « chronophage » : les crampons, la qualité des ballons, les tees de rugby etc.
Prendre le jeu au pied à la légère, sans pression, permettrait certainement à certains de performer face aux poteaux grâce à une approche sans stress et un déliement corporel et technique intéressant. Cependant, le jeu au pied veut le buteur, veut l’investissement de ce dernier plus que l’inverse.
Jonny Wilkinson, figure iconique et quasi mystique du jeu au pied était connu pour son perfectionnisme maladif et sa maîtrise incroyable de cet art. Il représente la quintessence de l’investissement du buteur pour son domaine de prédilection. N’oublions pas que cet exemple est le plus « haut » et caractéristique de la psychologie du buteur. Wilkinson témoignera quelques années après la fin de sa carrière avoir souffert de certains troubles psychologiques et aurait aimé pouvoir « relâcher la pression »plus souvent. C’est d’ailleurs ce qu’il enseigne aux buteurs de l’équipe nationale d’Angleterre. Un peu moins de pression, pour plus d’équilibre personnel pour au final une progression tout aussi rapide !
Le statut du buteur… statutS ?
Le buteur (ou botteur selon la région) a un statut très particulier. Il représente une des rares individualités admises dans un sport éminemment collectif qui ne supporte pas les élans égotiques personnels. Le buteur est le seul joueur sur le terrain a avoir le pouvoir de sanctionner directement la faute adverse par plusieurs points. Il existe bien d’autres possibilités de marquer quelques points au « planchot » mais elles demandent une très grande organisation collective tant dans le maul-porté par exemple que dans une belle combinaison de la ligne d’arrières.
Même une fois que ce mouvement collectif se conclut dans l’en-but, où le buteur a de grandes chances de participer soit directement (passeur) soit plus passivement (jeu sans ballon et faux appel), ce dernier intervient encore une fois pour essayer de conclure « encore plus » cet essai par une transformation.
Rugby, sport collectif promoteur d’individualité ?
Comment ce sport par essence collectif, autorise encore un joueur à se démarquer autant après d’intenses efforts groupaux par la transformation ou tout du moins lors d’une pénalité ?
En effet, les essais sont majoritairement des conséquences d’un ensemble de comportements et de déplacements divers des attaquants et de la balle. Les essais à « 0 passe » existent mais sont toujours marginaux.
La transformation intervient donc dans un après-coup d’une collectivité manifeste. Le buteur, dans cet entre-deux, ce temps de transition, a tout les regards braqués sur lui ainsi que la bénédiction de ses supporters, et les railleries et les tentatives de malédiction de ses détracteurs.
Pierre Albaladejo, « Monsieur Drop », adepte donc du jeu au pied, sous-titré un de ses derniers ouvrages « le rugby, ce jeu qui interdit le jeu ». Vous avez 4 heures… Pourtant, le buteur, comme nous venons de le voir rapidement, a bel et bien un statut particulier. Après qu’il est tenté sa transformation, réussi ou non, un autre buteur intervient ! Celui de l’équipe adverse pour remettre la balle en jeu et initié à nouveaux de très nombreux mouvements collectifs.
Le statut du buteur oscille entre individualisme et collectif
« Tout est une question d’équilibre ». Les bouddhistes parlent de « voie médiane » pour décrire cet équilibre si important à la nature et à l’être humain dans les différentes domaines de vies : spirituel, émotionnel, familial, professionnel etc.
Le groupe est une entité à part entière, tout comme la notion d’individu. De très célèbres auteurs ont travaillés et écrits à ce sujet. Je citerai principalement : Carl Rogers, R. Kaes, D. Anzieu.
Or, « trop » de groupe, c’est l’annihilation de l’individualité, de la personnalité propre, ce qui est particulièrement anxiogène voire déstructurant pour la personne. L’intérêt du groupe c’est notamment de rencontrer l’altérité tout en préservant sa personnalité et en s’assurant une place reconnue des autres. Le phénomène transitoire de dissolution du Moi vers un Moi groupal est bien connu et observé dans les groupes dits thérapeutiques des lieux de soins.
Le rugby, construction sociale, a trouvé une forme d’équilibre entre individualisme et collectif par le buteur mais pas seulement. Chaque joueur a un poste, donc un numéro qui est un facteur différenciant comme « le grand 5 » par exemple. Le numéro porte donc une fonction de différenciation mais aussi d’utilité par la tâche. La victoire en rugby, est avant-tout la victoire d’un groupe.
Le rugby aime porter haut et fort la valeur de l’inclusion tant l’ensemble des profils sont hétérogènes dans une équipe de rugby : le petit gros, le grand sec, le bourrin, le leader etc. En théorie, en rugby, tout le monde a sa place. Cependant, tout le monde doit être à sa place sur un terrain du rugby. Pour exemple, vous connaissez certainement la réaction de votre entraîneur quand un « gros » se retrouve malencontreusement, par hasard ou par manque de cardio, entre le 9 et le 10 et casse littéralement la fluidité du jeu…
Digression sur le XV de France et les All-Blacks (début 2019)
Les All-Blacks, ces Harlem-Globe Trotters du rugby, ont eu la bonne idée de réinventer environ tous les 4 ans, période d’entre-deux Coupe du Monde, le rugby de demain ! L’avantage des All-Blacks, c’est de pratiquer ce rugby de demain dès aujourd’hui et d’avoir une longueur d’avance si ce n’est plusieurs par rapport aux autres nations, notamment l’équipe de France. La conséquence ? Des avants aussi mobiles et techniques que des trois-quarts et des arrières aussi redoutables physiquement que des avants. On se rappellera facilement parmi les nombreux « HighLights » les courses impressionnantes de Brodie Retallick ou de Codie Taylor, ainsi que les percussions de Ma’a Nonu ou de Lomapé !
Est-ce que pour autant les néo-zélandais connaissent un phénomène de dépersonnalisation groupale ? Pas du tout ! C’est bien parce-qu’ils ont suffisamment intégré les différents styles de jeu : offensif, défensif, rugueux, aéré etc. que leurs joueurs peuvent à convenance s’adapter à l’adversaire, à la situation, à l’urgence. La fameuse intelligence situationnelle si chère à notre Pierre Villepreux national !
Les bleus, quant à eux, sont toujours à la recherche d’UN style de jeu. L’écart entre les bleus-blancs-rouges et les tout-noirs est abyssal !
Conclusion sur le statut du buteur au rugby
Revenons à notre statut du buteur au rugby…
Il est amené à endosser les responsabilités du jeu au pied du collectif avant-tout par un plaisir personnel. Le plaisir des premières frappes, des premiers drops.
Le buteur représente l’un des remparts comme le « tout-groupe ». Il s’entraîne seul, se remet en question seul (la plupart du temps) mais est là pour faire gagner l’équipe dans les moments cruciaux par une pénalité ou un drop bien senti.
Quand il loupe la pénalité de la gagne, l’ensemble des coachs à peu près équilibrés ont le réflexe de le ré-intégrer dans le groupe, noyant la pénalité de la gagne défectueuse par une faiblesse collective située en amont du match. Le but ici, est de ne pas offrir en pâture le buteur très probablement fragilisé aux différentes foudres extérieurs : comité de la hâche locale (groupe d’anciens joueurs), journalistes, médias etc. Dans cette situation critique et délicate, nous voyons que l’équilibre entre collectif et individualité se trouve dans le mouvement. Et c’est bien pour ça que le rugby est et devra rester un jeu de… Mouvement !
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