La première partie de la chronique de Peur sur le rugby, écrit par Philippe Kallenbrunn se trouve juste ici <–
8 / Pseudo-blessures et vraies magouilles
Philippe Kallenbrunn nous livre ici le récit de sa rencontre avec Marcel Martin,grand dirigeant du rugby français et ancien président de Biarritz. Grand pourvoyeur d’idées novatrices pour faire progresser le rugby, il reste un homme discret.
« je n’ai jamais vraiment eu de tribune dans les journaux pour pouvoir les exposer en détail. J’ai toujours travaillé dans l’ombre. »
L’idée que souhaite présenter Marcel Martin à Philippe Kallenbrunn est celle du passeport médical international. Marcel Martin part du constat que la moitié des joueurs professionnels évoluant dans notre championnat hexagonal sont étrangers.
« les seuls renseignements que nous avons sur l’état de santé des joueurs qui arrivent chez nous, c’est l’examen qui passent au club et les déclarations qu’ils peuvent faire.
Imaginez un joueur venant de l’étranger qui a subi dix commotions auparavant. Il passe l’examen qui ne détecte rien et lui-même ne déclare rien… Cela peut être très grave.
L’idée donc de Marcel Martin est la création d’un passeport médical international qui permettrait la transmission du dossier médical du joueur entre le médecin de son ancien club et celui de son nouveau. Ainsi le secret médical serait préservé et la prise en charge des joueurs étrangers grandement améliorée.
Thierry Hermerel, nouveau président du comité médical de la FFR « a promis qu’il s’en occuperait ».
Derrière ce passeport médical Marcel Martin voit plus loin. En effet, il connaît le monde du rugby dans ses moindres détails et aussi dans ses zones d’ombre…
« Fausses déclaration de blessure, certificats complaisants, détournement masqué de fonds de la Sécurité Sociale, augmentation des primes d’assurance et baisse des garanties, ce tableau n’a rien de vraiment réjouissant !«
Les exemples sont malheureusement nombreux. Certains joueurs trichent et les mailles du filet semblent à travers son témoignage bien lâches par endroit.
Les idées sont nombreuses chez Marcel Martin. Notamment pour parvenir à rendre au rugby ses lettres de noblesse. Selon lui, la seule chose qui n’a pas évolué depuis deux cents ans c’est les dimensions du terrain. Or, les gabarits ont explosés, les chocs sont devenus plus nombreux et plus dangereux et les espaces aussi rares qu’un coup de pied manqué de Jonny Wilkinson. Ce qu’il propose, c’est de jouer le rugby à 12 et d’enlever deux troisième-ligne et un centre. De fait, des espaces vont se créer de nouveau et le rugby va devenir ou redevenir un sport d’évitement.
Cette idée, il l’a eu il y a 20 ans et ne semble pourtant pas très présente dans le discours des grands dirigeants. Cela vient sans doute chambouler de manière trop brutale les conventions établies depuis plus de cent ans. Cependant, on voit que le rugby à 12 se jouait il y a quelques années dans les équipes réserves au niveau territoriale. Le jeu est de fait plus aéré mais parfois plus brouillon à la vue du niveau de technique… Avec des joueurs de haut niveau, cela pourrait être tout à fait intéressant à proposer de manière expérimentale.
Ce chapitre se termine sur une note bien plus solennelle…
« Le 22 mai 2017, moins de deux mois après notre ultime rencontre, nous apprenons son décès, des suites d’une longue maladie. Le monde du rugby rend alors un hommage unanime à ce grand dirigeant, respecté de tous, dont le nom restera dans l’histoire de ce jeu comme l’un des pères fondateurs de la Coupe du monde. »
9 / Le rachis en première ligne
Le rachis est un synonyme de la colonne vertébrale. Ce fameux rachis est mis à mal pour les piliers et les talonneurs. Les mêlées, avec les forces de compression qu’elles infligent peuvent entraîner des malformations ou des blessures importantes (hernies, section de la moelle épinière).
Le rachis, c’est en effet surtout l’affaire de la première ligne, qui infligent à leur squelette toutes les tortures du monde lors de l’exercice de la mêlée fermée.
Le chapitre s’articule principalement sur deux témoignages. Le premier, celui de Nicolas Mas, pilier glorieux de l’ère moderne. Le deuxième est celui de Tony Moggio, talonneur. Suite à une mêlée fermée, il a subi une section complète de la moelle épinière et est désormais tétraplégique.
Nicolas Mas a eu deux hernies pendant sa carrière. C’est l’incroyable travail de gainage du haut du corps et de musculation du cou qui lui ont permis d’avoir une carrière très longue. Sans ce travail de renforcement, il aurait été condamné à arrêter sa carrière très prématurément !
« le Dr Amat me dit : « Après ça, je ne veux plus te revoir, c’est la dernière fois! » Je comprends qu’il n’y aura pas de troisième opération. La prochaine fois, le rugby sera fini pour moi. »
« Depuis ce moment-là, je fais du cou, du cou, du cou à la musculation. Je ne fais même presque que ça. »
« Quand je jouais, si je ne le faisais pas pendant une semaine, je n’étais pas bien. J’avais des douleurs. Dès que je reprenais, j’allais mieux.
L’histoire de Tony Moggio, elle, est plus tragique. Alors qu’il joue en deuxième série territoriale, il subit un grave accident suite à une mêlée écroulée. L’arbitre avait annoncé un peu trop vite les commendements et son pilier s’est détâché… Aujourd’hui, Tony Moggio est en fauteuil roulant et reconstruit sa vie. Il a notamment publié un livre en 2015, Moi, Tony Moggio. Talonneur brisé (éditions Privat).
Comme souvent dans ce livre, Philippe Kallenbrunn conclut un chapitre par une étude permettant d’ouvrir sur la thématique en question. Ici, une étude sur les blessures du rachis en France de 2007 à 2013.
« Elle vise à mesurer l’efficacité du programme de prévention menée par la Fédération entre 2007 et 2013 et celle du changement de la règle en mêlée fermée survenu en 2010 (…) Au total, 31 atteintes du rachis sont répertoriées, dont deux entraînant un décès, en 2006 et en 2007.
La dernière phrase est absolument effrayante… Philippe Kallenbrunn relate un de ces tragiques accidents. Je préfère ne pas citer ce passage.
Par ailleurs, la conclusion de cette étude montre une légère diminution des blessures au niveau des cervicales sur la phase de la mêlée fermée après 2010. Parallèlement, ces blessures ont « augmenté chez les trois-quarts entre 2010 et 2013, par rapport à la période 2006-2010. » La cause de cette augmentation se situe dans la « rudesse des chocs lors des plaquages, de plus en plus virulents » selon Philippe Kallenbrunn.
10 / Quand la justice s’en mêle
Quand le rugby produit des grands blessés ou des décès, forcément, « la justice s’en mêle »…
Ce chapitre nous fait rencontrer maître Catala, avocat toulousain et véritable « ténor du barreau » pour reprendre les termes de l’auteur. Il est désormais spécialiste en matière de réparation du préjudice corporel. C’est notamment lui qui s’est occupé de Tony Moggio, cité un peu plus haut.
Cet avocat nous explique que l’aspect juridique du rugby se situe entre deux ères : l’ère de l’amateurisme et celle du professionnalisme. Ce hiatus fait que le juridique est en retard par rapport à ce qu’est devenu le rugby et les effets de ce dernier. Maître Catala parle même de « préhistoire juridique » concernant le rugby actuel…
Par exemple, pour un taux d’invalidité similaire, les accidentés de la route sont bien plus indemnisés que les blessés du rugby. Selon lui, ce n’est pas normal car ce sport peut effectivement conduire à des handicaps très sévères !
Au-delà du vocabulaire pénal, cette partie nous permet de comprendre les enjeux de l’évolution juridique du rugby. Physiquement, ce sport est tout sauf anodin et les risques encourues sont bien réels.
Philippe Kallenbrunn nous illustre ces risques dans les dernières pages de ce dixième chapitre avec le témoignage de Sébastien Bruère. Ce dernier à presque perdu l’usage d’un œil suite à une violente fourchette reçu dans le cadre d’un match amical au niveau fédéral… Aujourd’hui, il a des broches dans l’œil et sa vue est très altérée… La condamnation de son agresseur est trop légère selon lui, comparé à celle qu’a écopé David Attoub en 2009. Victime de ce très mauvais geste en 2015, son agresseur peut désormais fouler de nouveau les terrains de rugby après avoir aussi payé une amende de 1000 €… Histoire complète à découvrir dans le livre.
Les chapitres 11 et 12 sont consacrés à la place du médecin dans les clubs et au sein de la fédération…
13 / Le rugby tape à l’œil
Ici, nous apprenons des éléments pertinents concernant le port de lunette « protectrice » pour les joueurs n’ayant qu’un œil valide. Cette affaire a été popularisée en France par le cas du demi de mêlée Florian Cazenave.
En réalité ces lunettes ne sont pas protectrices. Elles sont utilisées pour l’instant à titre expérimental dans un cas bien précis. Ce cas n’est pas comme on pourrait le croire celui de Florian Cazenave qui a perdu l’usage d’un œil. Ces lunettes concernent des joueurs ayant une mauvaise vision et devant porter des lentilles pour jouer mais ne pouvant pas les supporter !
« les lunettes spéciales rugby ne so[nt] pas conçus pour apporter une protection supplémentaire à ces personnes »
Par ailleurs, le World Rugby est là afin « de s’assurer que les lunettes spéciales rugby remplissent les fonctions pour lesquelles elles ont été conçues, à savoir offrir aux joueurs un moyen de porter des verres correcteurs en toute sécurité lors de la pratique du rugby en contact. »
Le Dr Hager ponctue et conclue :
« Ceux qui pleurent pour jouer sont les mêmes qui, le jour où ils pètent le deuxième rein ou le deuxième œil, vont porter plainte contre la Fédé ».
Le message est clair, avec un seul œil, rein, ou testicule, il est fortement déconseillé de jouer. A partir de là, la plus grande prudence s’impose.
14 / Sur de mauvais rails
Le rail est ici un rail blanc, de cocaïne. Les exemples de joueurs pris la main dans le sac et le nez dans la poudreuse sont de plus en plus nombreux. Le grand public se rappelle du cas d’Ali Williams et de James O’Connor récemment et de Pieter De Villiers il y a quelques années. Malheureusement, le haut niveau n’est pas le seul concerné. Philippe Kallenbrunn nous donne l’exemple d’un joueur de Gruissan (fédérale 3), pris par la patrouille pendant la saison 2016-2017 et condamné à 4 ans de suspension…
Je rappellerai une nouvelle fois la déclaration de Christian Bagatte, médecin à la FFR, énonçant (dénonçant?) une très grande présence du cocktail corticoïde-cocaïne dans la milieu professionnel en début de semaine… Lien de la déclaration
Des témoignages de joueurs amateurs décrivent certains comportements suspects pendant certains matchs : des joueurs surexcités, hors d’eux-mêmes, qui sautent partout, orduriers, très violent et incontrôlables. Le doute existe tant ces comportements vont au-delà de l’agressivité normalement mis en jeu pendant la rencontre.
Le plus inquiétant, c’est que ces comportements suspects, où les joueurs sont hors d’eux-mêmes, se retrouvent à des petits niveaux, comme en promotion Honneur…
Pour le plus haut niveau, un suivi avec un psychologue semble pertinent… Les problèmes d’addiction, de dépression, de dopage peuvent être présents et doivent être accompagnés du mieux possible. Philippe Kallenbrunn nous apprend dans son livre par l’intervention du Dr Hager que les jeunes de l’INSEP rencontrent deux fois par an un psychologue. Par contre le rugby pro a un temps de retard. Ce même docteur avait proposé avant la Coupe du Monde 2011 que chaque joueur puisse rencontrer un psy, mais cela ne s’est pas fait. Et aujourd’hui ?
15 / L’inflation des K.-O.
Les commotions cérébrales sont devenues monnaie courante en Top 14. Il y-a t’il un match sans commotion aujourd’hui ?
Pendant les phases finales de Top 14 pour la saison 216-2017, pas moins de 19 protocoles sont mis en place ! Pour la saison entière c’est plus de 200 protocoles qui sont déclenchées pour 95 commotions décomptées. Et ce chiffre est en augmentation !!!
Des progrès ont été fait avec notamment la mise en place de ce fameux protocole. Cependant la liste des personnes stoppant prématurément leur carrière à la suite de commotions à répétition s’allonge de plus en plus : Marie-Alice Yahé, Eduard Coetzee, Benoît Guyot, Shontayne Hape etc. Qu’en est-il de joueurs toujours en activité et commotionné à de nombreuses reprises ? Je pense à Jonathan Sexton ou à George North…
Le film Seul contre tous avec Will Smith avait marqué les esprits concernant les commotions et la vie brisée de nombreux joueurs de football américain. Will Smith y incarne le Dr Bennet Omalu, médecin légiste, qui a été le premier à faire le lien entre chocs répétés à la tête et mort prématurée des joueurs de NFL. Les chocs à répétition créent des lésions qui conduisent à une pathologie avérée : l’encéphalopathie traumatique chronique. Côté rugby, peu se sentaiten concerné. « Les différences avec le foot US sont bien trop grandes, les chocs sont frontaux et prévisibles au rugby… » Vraiment ???
Le point le plus inquiétant se situe encore une fois au niveau amateur. Les clubs n’ont pas forcément un médecin. La qualité de la détection et du suivi est donc très inférieur au niveau amateur. Sur la saison 2016-2017, plus de 1500 suspicions de commotions sont relevées dans le rugby fédéral !
Les commotions conduisent à la mort si elles se répètent dans un laps de temps trop court. Ces cas extrêmes n’en sont pas moins rares. Philippe Kallenbrunn nous cite quelques noms en fin de chapitre. Ces joueurs avaient entre 14 et 27 ans…
16 / Commotions, détection et solutions
Le mot « commotion » » rime et va de pair avec le mot « détection ». En France, c’est le dispositif HIA (head injury assessment) qui est utilisé. Il est composé de trois passations. La première (HIA 1) est effectuée juste après le choc. La deuxième (HIA 2) se déroule trois heures plus tard. Enfin, la troisième et dernière passation s’effectue 48 heures après.
Ce dispositif est en réalité un examen neurologique composé d’un questionnaire et d’exercices d’équilibre.
Ce « protocole commotion » est utilisé quasiment à chaque match de Top 14 et représente effectivement une avancée par rapport aux errements du passé. Est-il pour autant suffisamment efficace ? Certains pensent que non… C’est le cas notamment de Dr Chermann, neurologue, qui déclarait dans le Midi Olympique du 12 juin 2017 :
« Je suis opposé au questionnaire actuel, je le trouve très insuffisant ; il y a au moins 30 % de « faux négatifs », des joueurs qui répondent correctement, mais qui sont bel et bien commotionnés.
(…)
On ne peut pas apprécier la gravité de commotions en dix minutes le jour même, c’est absolument impossible«
Le Professeur Decq remarque que 56 % des commotions surviennent à la suite d’une mauvaise technique de plaquage. Selon lui, il faut encourager dès le plus jeune âge « des gammes à faire aux entraînements » pour que les joueurs sachent bien plaquer des deux épaules. Toujours selon le professeur, les joueurs de l’hémisphère sud savent très bien plaquer des deux épaules. D’après ces déclarations, on pourrait donc envisager que les joueurs du sud sont moins sujet aux commotions… Est-ce vraiment le cas ? Existe t-il une étude démontrant que les joueurs sachant plaquer des deux épaules subissent moins de K.-O. ?
La fin du chapitre s’oriente vers d’autres pistes, comme celle du carton bleu. Si ce dernier est brandi par l’arbitre, le joueur sort définitivement du terrain et doit attendre trois semaines et un avis médical avant de reprendre la compétition… Ce dispositif est à l’essai pour la saison 2017-2018 en fédérale 1 et dans le Top 8 féminin !
Le dernier chapitre est consacré à Damien Fèvre.
L’épilogue de ce livre propose une ouverture et une rétrospective. Pour le passé, l’épilogue fait référence à la génération des Boks de 1995 étrangement sujette à des maladies rares. Pour le rugby plus ou moins actuel, la référence se situe au niveau des rugbymen ayant été à la dérive (Poulain, Dominici, Charvet, Bastareaud, Papé etc.) jusqu’à des fins de vie tragiques (suicide d’anciens joueurs…). Et enfin pour l’avenir, tout semble encore à écrire et à inventer.
Conclusion
Ce livre permet une vue assez globale sur le rugby actuel. Cette vision ne concerne pas des considérations technico-tactiques mais des à côtés, pas toujours connus, du rugby professionnel et amateur. Il est riche de témoignages très divers (joueurs, docteurs, dirigeants, anciens) et permet de faire le lien entre le rugby d’avant, celui de maintenant afin d’appréhender l’Ovalie de demain. Si le tableau peut sembler assez sombre, des pistes émergent à chaque chapitre (passeport médical international, label « Sport Protect » etc.) Je pense que n’importe quel joueur ou amateur de ce sport peut être intéressé par les propos du livre de Philippe Kallenbrunn et mérite une lecture attentive. Ce résumé est en réalité loin d’être exaustif ! Bien d’autres éléments sont à découvrir dans cet ouvrage.
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Points forts
- Diversité des sujets traités et des personnes qui témoignent
- Lien entre passé, présent et futur
- Multiples pistes de réflexion et à fortiori de solution
Points faibles
- Certains chapitres sont courts et mériteraient un développement plus important
- Les ouvertures de fin de chapitre amènent d’autres questions, pour l’instant sans réponse (point aussi positif…)