Vous pouvez retrouver la première partie de la chronique –> ici <–
6 / Au cœur du cyclone
Laurent Bénézech évoque Christian Bagate, médecin élu à la FFR, qui glisse du bout des lèvres lors d’un colloque l’existence d’une addiction de certains joueurs à la cocaïne et aux corticoïdes... dans le passé. Donc des comportements déviants existent dans le rugby concernant le dopage, mais ces histoires appartiennent apparemment au passé…
Un cas d’addiction aux corticoïdes et à la cocaïne qui ne vient pas du passé
Laurent Bénézech nous joint une lettre écrite de la main du père de Anthony Martrette. Celui-ci relate le calvaire de son fils après avoir été en contact avec des substances dopantes pendant sa carrière. Il évoque une invalidité à 80% de son fils, ses séjours en centre psychiatrique etc. La lettre est assez touchante. A vrai dire, je ne savais pas qui était Anthony Martrette jusqu’à ce que je retombe sur ce reportage ! A regarder en entier pour les curieux ou à partir de 6 minutes 33 pour connaître l’histoire de Anthony Martrette :
7/ Où j’assiste à ma propre lapidation
Suite à sa déclaration dans LeMonde, une déferlante médiatique s’est abattue sur lui, lui reprochant beaucoup de choses. Dans cet emballement médiatique, Serge Simon, alors président du syndicat des joueurs Provale passe « un coup de fil surprise » à Laurent Bénézech pour que ce dernier vienne s’expliquer lors d’une réunion avec certains joueurs à Toulouse.
Dans la gueule du loup
Avant de commencer à prendre la parole devant les joueurs, Laurent Bénézech assiste à la réunion de Provale où il est question du nombre de rencontres par saison, du calendrier surchargé etc.
Au moment de la réunion où Laurent Bénézech va enfin prendre la parole, des joueurs de Grenoble et de Clermont doivent s’éclipser car ils ont un avion à prendre. L’un d’entre eux (joueur très connu..) s’exprimera face aux journalistes présents à la sortie et dira que M.Bénézech n’avait aucune preuve et qu’il voulait juste faire du buzz… Sans avoir assisté au débat !
Laurent Bénézech prend donc la parole en premier pour ce « débat », il y tenait, pour avoir la chance et l’espace d’exposer son propos. Quand il explique sa démarche et sa préoccupation pour la santé des joueurs, il sent ces derniers surpris !
Dans les questions qui ont suivi son intervention, une certaine virulence est palpable. Le débat ne s’ouvre pas. Les critiques des joueurs sont sévères et la discussion ne prend pas forme.
UNE question revient à cinq reprises. « Et toi, qu’est-ce que tu prenais quand tu jouais ? ». Les joueurs qui se sentent attaqués par les propos de Laurent Bénézech attaquent en retour. C’est une réponse en miroir, c’est un moyen de se défendre. Ce système défensif ne permet pas au débat de s’ouvrir, loin de là ! Si le dopage est vraiment inexistant dans le mode du rugby, pourquoi certains de ces joueurs veulent tant savoir si Laurent Bénézech s’est dopé ou pas pendant sa carrière ? Ce sont les questions qui me viennent en relisant ce passage du livre.
Le débat commence enfin
Le débat commence enfin quand Laurent Bénézech sort de l’amphithéâtre et où il est rejoint par Fulgence Ouedraogo.
« Ouedraogo commence par me dire que j’ai raison, que le dopage existe, qu’il a été témoin de scènes où certains coéquipiers prenaient des produits d’aide à la performance dépassant le cadre des simples compléments alimentaires. »
A la sortie, de nombreux journalistes sont présents. Certains joueurs diront ce que nous avons entendus depuis, c’est à dire que l’intervention de cet ancien joueur n’est motivé que par le buzz ou l’envie de faire 2 sous. Ce que je retiens de ce passage, c’est la déclaration de Serge Betsen :
« Il aurait mieux valu qu’il vienne mettre son expertise en matière de santé au service du syndicat pour rendre notre sport le plus propre possible. Au lieu de dire que l’on va tomber dans la même situation que le cyclisme, qu’il nous dise quoi faire pour l’éviter. »
8 / Mon témoignage devant le Sénat
Une vidéo de 30 minutes, assez intéressante où Laurent Bénézech se retrouve devant la commission d’enquête sénatoriale sur l’efficacité de la lutte contre le dopage.
crédit : Parlement Français
Il y aborde son cheminement, l’état actuel des choses, et les possibles améliorations pour l’avenir de ce sport.
De ce chapitre, je retiens essentiellement deux citations. La première de Laurent Bénézech :
« Ce n’est pas parce que les contrôles sont négatifs que les sportifs contrôlés ne sont pas dopés. »
La deuxième, de Bernard Ansellem, président de la Fédération française d’athlétisme :
« Sur la suivi médical réglementaire (SMR) (correspondant au suivi longitudinal dans le rugby), le code du sport indique qu’il s’agit d’un suivi de la santé des athlètes. Or nous l’utilisons comme un moyen de prévention du dopage, pour traquer les tricheurs, la recherche de pathologies étant secondaire. Il y a donc une hypocrisie dans ce système et il conviendrait de clarifier les choses. »
La fin du chapitre ouvre sur des possibilités d’améliorations pertinentes comme :
- La sanction pour un club ayant fait l’objet de deux sanctions individuelles pendant la même saison
- Instaurer une procédure de validation des calendriers par le ministère sur la base des risques pesant sur la santé des joueurs
- Prévoir une transmission des résultats aux autorités avant transmission aux athlètes etc etc.
D’autres points sont abordés et plus largement développés. Si ces pistes de solution vous intéresse, je vous invite à lire le livre 🙂
9 / Les ennuis commencent vraiment
Après cet épisode chez Provale et le déferlement médiatique qui a suivi, Laurent Bénézech avait « envie de passer à autre chose« .
Il livre, d’après son expérience de joueur et d’ancien joueur, un regard assez sceptique (emprunt de réalisme?) sur le monde du rugby :
« Une telle expérience a forgé en moi des certitudes quant à ce que je peux attendre du monde du rugby. Rien. Enfin, si peu. De la solidarité, oui, mais seulement pendant les quatre-vingts minutes que dure une rencontre. »
« Le rugby a des spécificités en tant que discipline sportive qui font qu’il véhicule des valeurs exceptionnelles. Peut-être. Mais uniquement pendant la durée d’une rencontre. »
Mais, il y a un mais !
« Serge SImon, en tant que président de Provale, avait menacé de me faire un procès. Pour une fois, il n’allait pas changer d’avis. »
Trois mois plus tard après son interview dans Le Monde, il reçoit une citation à comparaître devant le tribunal correctionnel de Paris. C’est le syndicat Provale qui l’attaque … et 134 joueurs !!! Lui est demandé un euro symbolique par plaignant soit 135 euros… et 2 000 euros « par requérant pour remboursement des frais de justice »
Ce qui représente un montant de 268 000 euros.
Laurent Bénézech est aussi attaqué par Philippe Saint-André pour ses propos dans une interview donnée au Midi Olympique, mais dont je n’ai pas parlé ici pour me concentrer sur la problématique principale.
10 / Honneur à la défense
« Le procès Provale est finalement fixé au 27 juin 2014 ». Il a donc eu lieu il y a plus de trois ans. J’arrive un peu après la guerre mais les deux derniers chapitres (une centaine de pages tout de même) sont fort intéressants !
« La compléxité de ce travail provient principalement de l’absence de preuves purement scientifiques. »
« J’aimerais m’appuyer sur des résultats du suivi longitudinal des joueurs (…) ni la LNR, ni la FFR ne communiquent de données de ce type. Rien. Nada. »
Donc sans preuves scientifiques, il lui reste des preuves juridiques, qui selon lui répondent à une autre logique. Car en effet, il est « jugé pour diffamation. Pas pour assassinat… »
« Je suis jugé pour diffamation. Pas pour assassinat… si ce n’est les prétendues valeurs du rugby. »
« L’enjeu de ce procès, c’est de juger de ma bonne foi. »
Considérant comme il l’indique dans un sous-titre de ce chapitre que « la meilleur défense c’est l’attaque« , pour Laurent Bénézech ce procès ne doit pas être le sien, « mais celui du rugby professionnel français et de son inconscience ».
Dans la préparation au procès, l’auteur a « l’impression de devoir écrire une thèse » et peut compter sur quelques soutiens. Notamment Damien Ressiot, journaliste à l’Equipe, qui a beaucoup travaillé sur la question du dopage et qui considère que l’omerta présente dans le rugby est plus fort que celle présente dans le cyclisme à l’époque d’un certain Lance Amstrong.
Ce journaliste lui confirma la présence du docteur Stoïcheff, cité dans la première partie de l’article, dans le milieu du rugby au-delà du club de Brive. En effet, il aurait vu certains joueurs de Paris venir le consulter, dont « un certain Serge Simon« .
« Dès 2008, il avait la preuve (Damien Ressiot), à travers les résultats de prélèvements capillaires menés par l’Agence française de lutte contre le dopage sur les joueurs de Top 14 à titre expérimental, de la présence de déhydroépiandrostérone (DHEA) relevant une prise exogène de ce stéroïde. »
Les formidables compléments alimentaires de l’équipe d’Angleterre en 2007
Par un ami en commun, Laurent Bénézech rencontre Jacques Servat, capitaine du GIGN. Il a été en charge avec ses hommes de la sécurité de plusieurs des équipes pendant la Coupe du monde 2007, notamment celle de l’Angleterre !
En fin de compétition (défaite en finale contre les Boks), les joueurs anglais avaient donné tout un tas de souvenirs, maillots, ballons & compléments alimentaires à l’équipe de Jacques Servat. Un de ses membres, féru de musculation et de préparation physique récupère une partie de ces compléments. A sa grande surprise, « il va réussir à prendre quatorze kilos de muscle en l’espace de dix semaines seulement. »
« Après une longue discussion avec son capitaine (Jacques Servat), le nouvel athlète XXL décidera de laisser tomber cette aide à la performance, ne voulant pas prendre de risque pour sa santé. »
Mon code génétique disséqué
« Michel Rieu (ancien conseiller scientifique à l’AFLD) a en effet donné un long interview à Rue89.com où il discrédite notamment le suivi longitudinal comme moyen de surveiller et de dénoncer les pratiques déviantes. » Interview ICI
Un joueur m’apporte son soutien
Ce joueur c’est Vincent Clément. Il lui apporte son suivi longitudinal c’est à dire les feuilles des résultats de ses prises de sang.
« Ces documents sont si bien tenus secrets que même le professeur Michel Rieu, pourtant expert scientifique de l’AFLD pendant de nombreuses années, n’a jamais su quels paramètres exactement sont pris en compte dans le suivi longitudinal pratiqué dans le rugby et n’avait (…) pas encore vu le moindre exemple de ce suivi. »
« Il n’y a aucune collaboration entre la commission médicale de la LNR et l’AFLD. Et pour cause : le rugby français reste libre de ses agissements et peut faire ce qu’il veut, même lorsqu’il constate des paramètres anormaux. »
Où la parole de Christian Bagate devient sacrée
Il existe une histoire…
« Cette histoire provient d’un colloque qui se serait déroulé deux ou trois ans plus tôt, durant lequel un médecin de la FFR aurait admis que le rugby connaissait des problèmes liés à la prise de corticoïdes et de cocaïne les lundis, mardis et mercredi. Autant dire que je dresse l’oreille«
Et puis un jour, Laurent Bénézech reçoit un coup de fil de Damien Ressiot qui assiste à un colloque sur le dopage organisé par le Sénat…
« Il l’a redit !
– Quoi ? Qui ?
– Il l’a redit !
– Mais quoi ??? Mais qui ???
– Bagate !
– Bagate ???
– Oui !
– Il l’a redit ???
– Oui !
– Les corticoïdes ???
– Oui !
– La cocaïne ???
– Oui !
– Les lundis, marids, mercredis ???
– Oui !
– Mais pourquoi ???
– Pourquoi, quoi ?
– Pourquoi il l’a redit ???
– Mais… je n’en sais rien. Personne ne lui demandait rien et, là, à la tribune, pendant son intervention, il a, à nouveau, parlé du problème rencontré par le rugby avec les corticoïdes et la cocaïne, avec des prises les lundis, mardis, mercredis. »
Suite à ce coup de fil, Laurent Bénézech se rend sur le lieu du colloque. Il arrive à interpeller Christian Bagate lors d’une pause pour en savoir plus. L’auteur de Rugby, où sont tes valeurs ? s’attendait à des informations croustillantes sur les « secrets de la boîte noire du rugby. » Il n’en fut rien.
« Autant dire que j’ai été déçu. »
« Un médecin fédéral qui admet un problème de comportement déviant dans le rugby, c’est déjà beaucoup. »
11 / Le procès
Ce chapitre est de loin le plus palpitant de tout le livre. L’auteur nous décrit avec brio le déroulé de son procès. Le lieu, l’atmosphère, les retournements de situation, l’aspect psychologique dans la prise de parole des avocats, la maîtrise de la rhétorique etc.
Je ne souhaite pas faire de résumé de ce chapitre car l’article est déjà très long et que sa lecture directe est vraiment plus passionnante !
De manière très pragmatique, les deux points importants à retenir :
- Serge Simon n’était pas présent au procès
- Laurent Bénézech a été relaxé
Conclusion
Ce livre m’a permis d’aller au-delà des critiques couramment entendu dans la presse à l’égard de Laurent Bénézech et de m’intéresser à ses propos. Même si les accusations peuvent paraître lourdes, elles ont vocation à ouvrir un débat. Là où finalement (et je l’ai découvert dans le livre) il n’y en avait peu ou pas. Ce livre a été effectivement un pavé dans la mare nécessaire car aujourd’hui, en 2017, il me semble, que l’on parle un peu plus ouvertement de la place du dopage dans le rugby.
Pour témoin, l’intervention de Robins Tchale-Watchou dans Stade 2 où il accepte l’idée que effectivement il y a du dopage dans le rugby et des tricheur. Pourtant, lors de l’intervention de Laurent Bénézech à la réunion Provale décrite dans le livre il avait été un peu plus agressif et un peu moins ouvert à la discussion. Ce qui montre que l’idée est en train de faire son chemin.
Vous l’aurez compris, même si le livre date d’il y a quelques petites années, il reste terriblement d’actualité !
Si vous souhaitez approfondir votre réflexion,
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