Serge Betsen – Les 7 plaies du rugby français (2/2)

Retrouvez ici la première partie de cette chronique du livre de Serge Betsen (formation des jeunes joueurs, la qualité de l’entraînement, le talent versus le travail) !

4 / Le meilleur championnat du monde… Ou juste le plus riche ? La compétitivité

4.1 Etat des lieux

Notre championnat national, le TOP 14, est le championnat le plus puissant financièrement au monde. Même les anglais où le championnat de l’hémisphère Sud ne rivalisent pas. Le budget moyen d’un club de TOP 14 s’élève à plus de 20 millions d’euros pour 2014-2015. Il est certainement encore plus haut cette saison…

Cette richesse provient de plusieurs facteurs

  • Droits TV importants
  • Affluence de partenaires, marques diverses
  • De plus en plus de public et supporters
  • Investissements de plus en plus grands de certains grands chefs d’entreprise

Malgré ce beau paysage financier, subsiste un problème de taille !

« Le vrai chantier, c’est le jeu, ou plutôt l’absence de jeu ».

Pour étayer son propos, Serge Betsen cite une interview de Christophe Deylaud, ancien coach de Bayonne :

Il est nécessaire de réduire les voiles car chaque point est important. L’efficacité est plus importante que le spectacle. Il faut revoir la formule du championnat.

Cette formule de championnat ne semble donc pas stimulante pour l’ensemble des équipes. Le jeu s’en retrouve restreint. Et une des conséquences est notre faible réussite au niveau de la Coupe d’Europe. Serge Betsen prend l’exemple de Castres, tête d’affiche dans les années 2013-2014 et qui était à la peine au niveau européen.

Par ailleurs, Serge Betsen se réjouit de l’arrivée de nouveaux présidents, des chefs d’entreprise comme Boudjellal, Altrad, Lorenzetti, Savare qui amènent de nouvelles façons de faire et de concevoir le rugby.

« Et cela bouscule un milieu qui vivait autrefois en circuit fermé. »

Nouvelle idée, Serge Betsen nous parle du taux d’étrangers dans notre championnat. Sans s’y opposer, il propose certains chiffres pertinents :

45% des joueurs du Top 14 ne sont pas sélectionnables en équipe de France. En Angleterre ? Ils sont à peine 30 %. En Irlande, moins de 5%.

Là où le bat commence à blesser, c’est qu’une politique de jeu restrictive et la possibilité de recruter facilement des étrangers amènent à une dérive qui handicape le XV de France :

On préférera toujours prendre un Sud-Africain (…) dur au mal et immédiatement opérationnel, plutôt que de faire grandir un jeune espoir en le lançant progressivement dans le grand bain. Un choix qui prive potentiellement le XV de France de l’avènement d’un futur talent.

4.2 Comment en est-on arrivé là ?

Essentiellement par la voie du professionnalisme. Au début, les grands noms du rugby sudiste venaient terminer leur carrière « dans un coin sympa » de la France.

La croissance du rugby a été tellement forte entre 1995 (début du professionnalisme) et le milieu des années 2000 que Serge Betsen tire cette conclusion :

« nos dirigeants (…) ont parfois donné l’impression de subir le développement de notre sport plutôt que de le piloter, ou même simplement de l’accompagner. »

L’arrivée du professionnalisme a engendré la Coupe d’Europe, les tournées d’automne et d’été, les barrages etc.

« autant de matches en plus qu’il a fallu caser dans un calendrier qui n’était pas déjà si léger ».

Dans ce contexte, l’option du joueur étranger est d’autant plus intéressante qu’un bon joueur français sera sélectionné (et donc indisponible) à de nombreuses reprise en équipe nationale. Ce pragmatisme est loin d’être une exagération selon Serge Betsen !

« Des clubs font le choix de ne recruter que des étrangers et profitent de ces périodes de confusion pour glaner le maximum de points face à des équipes affaiblies… On marche sur la tête !

4.3 Propositions

Pour aller plus vite et rendre le propos plus clair, je vous les propose sous forme de tiret :

  • Avoir seulement 12 équipes dans la poule de l’élite et ainsi libérer 4 dates dans le calendrier.
  • Limiter le nombre de descente et de montée, voire posséder une ligue fermée pour soulager la pression de la relégation et permettre aux clubs de construire plus sereinement, dans la durée.
  • Réformer le système de JIFF
  • Avoir un système « d’équipe filiale » pour les gros clubs de Top 14.

Pour cette dernière proposition, je vais directement cité Serge Betsen :

« Joe Launchbury, actuellement l’un des stars du pack du XV de la Rose, n’a pas réussi à percer dans l’Academy des Harlequins, où la concurrence était trop rude. Il est malgré tout repéré par le staff des Wasps et envoyé dans un club filiale évoluant dans l’équivalent de la Fédérale 1, Wortinh, au sein duquel il explose tout. Il n’y finit même pas la saison et est immédiatement intégré dans l’effectif des Wasps. »

Joe Launchbury perforant et performant sous le maillot des London Wasps. Crédit Flickr : Peter Dean

5 / Les bleus condamnées à l’inconstance : le XV de France

5.1 Etat des lieux

La France n’est plus une nation mondiale majeure, je ne vous apprend rien. Au moment de l’écriture du livre, la France est au 6ème rang de l’IRB. Au moment de l’écriture de cet article la France vient de passer de la 10ème à la 8ème place !

Dans ce chapitre, Serge Betsen retranscrit les différents sélectionneurs français depuis le passage du rugby à l’ère professionnelle.

Tout d’abord Bernard Laporte avec sa dose de pragmatisme et son tempérament sulfureux. Ensuite Marc Liévremont qui a voulu inclure beaucoup de mouvement et de la vitesse « à outrance ».

Mais il a peut-être été trop abrupt dans son approche et sa propension à tout bouleverser. La France du rugby n’était pas prête.

Puis le cas de Philippe Saint-André, on ne reviendra pas dessus…

5.2 Comment en est-on arrivé là ?

Serge Betsen commence cette sous-partie par cette question :

Pourquoi l’équipe de France ne parvient-elle à battre ou inquiéter la Nouvelle-Zélande qu’en Coupe du Monde ?

Malheureusement, la Coupe du Monde 2015 est passée par là, et le résultat est sans équivoque : défaite 62 – 13

Ecoutons quand même sa réponse quelques lignes plus loin :

« à cette occasion, elle est aussi bien préparée qu’elle ».

Même si deux mois de préparation permettent de se préparer dignement au niveau physique et de rattraper quelques lacunes au niveau du jeu, la France ne semble plus « invitée » contre les All-Blacks !

Néanmoins, Serge Betsen propose une première piste intéressante :

Thierry Dusautoir (…) jouait en moyenne trente-cinq matchs par an (…) Richie McCaw, son homologue All Black, vingt matches environ. Quasiment la moitié !

Aude-là de la fatigue engendrée par ce calendrier qui est l’un des plus chargé du rugby mondial, une autre conséquence néfaste est notable :

Plus y il y a de matches, moins il y a de temps pour les préparer. C’est mathématiques.

Donc l’équipe de France compose souvent avec une liste de blessés importante (à cause du calendrier surchargé) et d’un manque de temps pour préparer les grands matches (à cause de la surcharge du calendrier) !

Développer un jeu ambitieux demande du temps, de la cohésion, et même de la complicité.

Quelques pages plus loin, Serge Betsen nous parle de la recherche de l’homme providentiel. Je souscrit complètement à son analyse !

Chez nous, la constante recherche de la solution miracle ou de l’homme providentiel qui va porter l’équipe à bout de bras, ne permet pas de trouver cette continuité salvatrice.

Pour conclure cette sous-partie fort intéressante, Serge Betsen se permet de faire un lien, une correspondance entre notre championnat Top 14 et la Premier League de foot anglais :

De l’argent, des stades (presque) pleins, des stars venues du monde entier. Mais regardez les performances de leur équipe nationale ! Elle n’a pas dépassé les quarts de finale d’une grande compétition depuis 1996, disputé à domicile.

5.3 Propositions

Là aussi, par soucis de rapidité, une petite liste est de mise :

  1. Une plus grande compensation financière pour les clubs fournisseurs de joueurs au XV de France
  2. Une meilleure communication entre les staffs (notamment médicaux) des clubs et de l’équipe de France
  3. Fédérer autour d’un projet France
  4. Une « meilleure » sélection du sélectionneur national

Pour l’idée n°3, une citation est nécessaire et Serge Betsen nous parle de Didier Dinart, légende du handball français :

A sa retraite, la Fédération (de handball) lui a confié la mission d’aller dans les clubs et les équipes de jeunes évangéliser le projet de jeu des Bleus et transmettre son impressionnant savoir.

Ainsi, les jeunes qui arrivent dans le circuit pro sont plus facilement intégrables en équipe de France, dont ils connaissent les principes de fonctionnement.

(…)

Je suis convaincu que de tels ambassadeurs seraient très efficaces pour retrouver une unité dans notre rugby.

L’idée est ambitieuse et originale, encore faudrait-il qu’il existe un projet clair autour du XV de France. Jacques Brunel, qui vient d’arriver, semble œuvrer dans ce sens.

Passons à l’idée n°4 !

Une nouvelle fois, une citation sera plus claire et concise :

Quand la Nouvelle-Zélande décide de reconduire Graham Henry à la tête des All Blacks en 2007, les choses sont claires. Une feuille de route précise est établie, des dossiers sont présentés.

(…)

En France, on ne sent jamais cette volonté de se projeter dans l’avenir, de tracer une feuille de route connue de tous, de construire de façon concertée ce que sera le rugby de demain.

La comparaison a du sens, surtout quand on voit les résultats respectifs des Bleus et des Blacks…

Lors de ma carrière, je n’ai quasiment ressenti cette volonté de bâtir.

Dommage…

6 / Des dinosaures aux requins : la gouvernance

6.1 Etat des lieux

Tout le monde le sait, enfin presque, le modèle du rugby français est bicéphale ! Voire schizophrénique ?

En effet, d’un côté, la FFR s’occupe de l’équipe de France et du monde amateur. De l’autre, la Ligue Nationale de Rugby (LNR) est en charge du monde professionnel. Ces deux instances ont du mal à s’entendre, c’est un euphémisme. Pourquoi ?

Parce qu’ils ne vivent pas les mêmes réalités (….) leurs modes de fonctionnement ne sont pas les mêmes.

On assiste même à des débats parfois virulents, qui ne semblent pas faire avancer le rugby notamment au sujet de la formation ou du calendrier par exemple !

Serge Betsen nous dit que l’arrivée de Bernard Lapasset à la tête de l’IRB avait nourri des espoirs pour déverrouiller la main mise des anglo-saxons sur le rugby mondial. Apparemment, il n’en est rien, même si ce dernier a réussi de beaux projets comme l’intégration du rugby à 7 aux J.O !

Serge Betsen apprécie l’arrivée de nouveaux présidents plus dynamiques qui tendent à faire bouger les choses : Boudjellal, Marti, Lorenzetti etc. Même si par ailleurs, il déplore leur côté un peu trop médiatique…

Dans ce même paragraphe, Serge Betsen dénonce de vieux dirigeants, « en place depuis des lustres », qui ne font pas avancer le rugby et pensent uniquement à préserver le plus longtemps possible « leurs privilèges ».

6.2 Comment en est-on arrivé là ?

L’arrivée du professionnalisme a tout bouleversé ! Le statut des joueurs, leur salaire, les staffs, les budgets etc. Tout sauf les dirigeants !

Mais les présidents de clubs ne supportent plus de se heurter en permanence à cet immobilisme.

Serge Betsen veut du sang neuf ! Avec :

Des joueurs qui viennent de prendre leur retraite, des femmes, des entrepreneurs, des gens des médias, faisons sauter les verrous !

Au milieu de tout ça, les joueurs ont peu la parole… D’une part parce-qu’on ne leur la donne pas vraiment et que d’autre part il ne sont pas forcement actifs dans ce processus…

Ces luttes intestines leur passent le plus souvent au-dessus de la tête.

La seule chose sur laquelle on leur demande leur avis, et « ce n’est pas une blague ! », c’est l’élection du meilleur arbitre… A partir de là, on ne peut faire que des progrès 😉

6.3 Propositions

Certaines propositions sont déjà énoncées dans le 6.2. Ici Serge Betsen demande plus de budget pour Provale, le syndicat des joueurs professionnels !

Plus de moyens car le nombre de chantiers est important comme :

  • Préparer les joueurs à la reconversion professionnelle après leur carrière
  • Prévenir les risques de dépression post-carrière, Cf Raphaël Poulain et tant d’autres malheureusement…
  • Sensibilisation aux conduites dopantes
  • Etc.

Serge Betsen espère ne pas en arriver jusqu’au « Lock-Out » de NBA dans les années 2012 qui était une grève généralisée à l’origine des propriétaires des franchises de club pour protester contre la nouvelle convention collective…

7 / Le temps du rugby business : L’économie

7.1 Etat des lieux

L’avénement du professionnalisme a aussi eu pour effet l’émergence de “stars”, des têtes d’affiches. Serge Betsen cite Chabal, Michalak, Dusautoir…

Pour Chabal, sa popularité est certainement dû à un concours de circonstances en sa faveur : son physique, son style et sa manière de jouer assez physique.

“C’est vraiment quelqu’un de très simple et pour en avoir parlé souvent avec lui, je crois qu’il n’a pas trop compris non plus”.

A la suite de la Coupe du Monde 2003, Frédéric Michalak est devenu le chouchou du rugby français. Serge Betsen nous rapelle même le terme de “Michalakmania” ! Être le chouchou a aussi des côtés pervers :

“Du coup, dès qu’il a eu une baisse de régime, ils ne l’ont pas loupé (…) Il l’a appris à ses dépens, cruellement, et a eu beaucoup de mal à s’en remettre. Je crois même qu’il ne s’en est jamais tout à fait remis.”

Cet engouement médiatique et populaire a provoqué “une inflation des fiches de paie des joueurs”. Son lot d’argent amène son lot d’ennuis, Serge Betsen nous témoigne de la présence de personnes malsaines dans la sphère du rugby pro. Il nous fait part d’un travail avec son agent de l’époque qui l’a “beaucoup aidé” mais aussi de ses déconvenues personnelles dans le monde du placement financier…

“Je me suis fait avoir. Je l’ai beaucoup regretté, car j’ai accordé ma confiance alors que j’étais très pris par le rugby à ce moement-là”.

7.2 Comment en est-on arrivé là ?

Les joueurs de la génération de Serge Betsen ont connu l’arrivée progressive du professionnalisme. De fait, ils sont restés « ouverts sur le monde”.

Aujourd’hui les jeunes joueurs intégrés très tôt dans les centres de formation courent le risque de s’enfermer malgré eux, à cause du système, dans un monde clos et manquant d’ouverture.

Selon l’auteur, le rugby n’est pas vraiment sur la même voie que le football où l’argent est roi car les rugbymen gagnent moins... Cependant, même en gagnant moins, il y a suffisamment d’argent dans le système économique du rugby pour connaître des dérives de la même nature.

Ce qui “sauve” aussi les valeurs du rugby (toujours selon S.B), c’est la dimension plus collective du jeu de rugby que celui du football. En résumé, “sans tes coéquipiers, tu n’es rien” et “il n’y aura jamais” de super stars comme Ronaldo ou Messi au rugby. A voir…

Le rugby serait devenu aujourd’hui un peu asseptisé, les troisième mi-temps sont plus rares et plus soft, il y a moins de joueurs avec de gros tempérament (des grandes gueules?). Serge Betsen cite des noms d’antan comme Gachassin, Rives, Galthié, Pelous etc.

De plus, la communication est hyper contrôlée, les interviews langue de bois sont plétors. #LeGroupeVitBien #LesMatchesLes1AprèsLesAutres.

7.3 Propositions

La valeur qui semble la plus importante pour Serge Betsen est celle de la transmission. Transmission entre les anciens et les jeunes joueurs. Selon lui, ce lien tend à s’étioler quelque peu, tant on peut voir dans le jeune joueur prometteur, un rival pour le joueur déjà installé. La compétition et l’esprit qui l’accompagne peut effectivement nuire aux relations inter-personnelles d’un vestiaire.

Ce lien d’humain à humain Serge Betsen le souhaite aussi avec les supporters pour préserver la spontaniété qui selon lui se “perd peu à peu”.

Par ailleurs, Serge Betsen est favorable à une certaine forme de “salary cap” afin de limiter sans interdire l’arrivée de joueurs étrangers afin de promouvoir la filière de formation française.

Conclusion

Le livre de Serge Betsen aborde un nombre importants de sujets cruciaux. L’ensemble de ces chapitres pourraient très bien faire l’oeuvre d’un ouvrage entier tant il y a à dire.

On retrouve donc dans ce livre des pistes intéressantes que l’auteur essaye d’articuler entre son expérience personnelle, sa connaissance du haut niveau et la façon dont le rugby évolue rapidement.

Certains sujets, pourtant fondamentaux, sont malheureusement pas assez évoqués comme celui du dopage. Peut-être dans un autre livre…

Merci de votre lecture et n’hésitez pas à laisser vos impressions en commentaire 🙂

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